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Traumacoma
1 mars 2013

GRIZZLI

Elle n’est là que depuis quelques minutes, mais  j’en avais déjà ras-le-bol de voir son visage partagé entre l'inquiétude et la joie. Des questions et encore des questions. Elle n’avait que ça à la bouche.
-   Tu as eu mon message Jimmy ? me demande-t-elle le regard coupable.
Non, le regard de quelqu’un qui attend quelque chose. Un regard de chien battu. 
-   Ouais, j’l’ai eu.
J’omets  sciemment  de lui dire que je n’ai fait que parcourir ce satané message. Ce qui a retenu mon attention, c’est ce "J'ai hâte de réentendre ta voix". Je n’ai jamais aimé les choses qui se répètent. Jamais aimé le romantisme exacerbé des femmes. Certains diront que je ne suis qu’un vieux con misogyne, mais ne pas faire semblant est un luxe auquel je tiens. J’aurais peut-être préféré qu’elle use de mots plus salaces pour m’exciter à mort, sur les nuits qu’on a passées ensemble.   Mais non, elle a opté pour un "J'ai hâte de réentendre ta voix". Et d’ailleurs,  que répondre à ça? Les gens nous demandent parfois implicitement qu’on leur mente. Et moi? Moi, je ne peux pas. Je suis impulsif. J'embrasse quand je veux, je quitte quand je veux. Juste comme ça, parce que c'est là.
Je ne sais pas trop ce dont j'ai envie en ce moment, alors ce qui me manque? J'en sais que trop rien. Je pourrais répondre ce que je réponds toujours à mon meilleur ami: "La sérénité". Quelque chose que je n'ai pas connu depuis belle lurette. Dormir pour une fois confiant sur ce que sera demain.
Alors envie, besoin ou manque, sont des mots qui me sont étrangers. Ah si, besoin/envie d'une cigarette. Juste ça. Bouffée polluée dans ma gorge angoissée.
Mes pensées vides, amorphes, je les trimballe, ça ne regarde que moi et je ne voudrais pas  les imposer aux gens, mais quand on me demande ce dont j'ai envie, j'aurais aimé que les gens ne se me méprennent pas sur le sens des mots "Juste envie de m'éteindre et de me mettre en veille un certain temps". J'avoue, je suis parfois tenté de répondre "Que tu fermes ta grande gueule et que tu me foutes la paix", mais.
Et quand je ne rêve pas d'étreintes anonymes, amicales, sensuelles, humaines, chaleureuses, avec des femmes sans visages je rêve de solitude désertique. De silence. Le mien. Un silence serein à l'abri des orages sous ma peau.
Alors, ouais. Qu'est-ce qu'ils en ont à foutre les gens des envies? De mes envies?
A moins que ce ne soit les envies qui définissent les gens. Envie de rien, indifférence totale. Celle qui semble glacer les gens, qui les rendent étrangers les uns pour les autres. Une indifférence désuète, discrète, fantomatique. Non glaciale. Celle d'une plante qui ne demande rien, qui n'a besoin de la présence de personne.

Le départ de Myriam me laisse une drôle d’impression. Pourtant, j’aurais juré ne pas avoir senti qu’elle est passée par là, ce matin. Ni même qu’elle est restée un moment avec moi. J’ai par contre le souvenir vague de deux serpents qui voulaient s’enrouler autour de mon cou. Ses bras. Je l’ai repoussée évidemment. Après ça… Juste un visage brouillé. Un corps flou. Celui d’une femme qui s’avance vers la porte comme si elle avait des boulets aux chevilles.  Je m’en souviens, car j’ai trouvé son allure ridicule sur le moment. Je ne sais pas ce qui m'a retenu de lui dire que les sorties théâtrales ne sont applaudies que dans les lieux qui leur sont attribuées,  ou que les mines affligées, martyres ne font pleurer que les mauviettes, mais je me suis retenu. J'avais hâte qu'elle sorte, sans doute.
La porte qui n’a pas été claquée m’a averti que celle qui venait de sortir était encore une fois déçue. Je le sais parce que Myriam est un ouragan quand elle est contente de quelque chose. Et moi, comme tous les humains, je n’ai jamais aimé les ouragans. Ils m’inquiètent, m’angoissent, me perturbent. Me tapent sur les nerfs pour de bon. 
Elle est partie, je devrais me remettre à peindre.  Cela fait un moment que ma passion me boude. Bizarre. Peindre me fait peur désormais. Non, ce n'est pas une peur, plutôt un déni. Je fais l'autruche, car la peinture dévoile tellement de choses. De ces choses que j’ai envie de noyer sous mon pinceau. Mais il s’y est toujours refusé, implacable. Noyer la vérité ne me ressemble pas. Du moins, ce n’est pas, ce à quoi j’aspire. J’aspire à un monde brut. Dépourvu de tout artifice. Epuré de tout faux-semblant. Et bizarre aussi que les choses qui me tiennent tellement à cœur finalement ne soient que des choses impalpables. Je ne vois rien, je  ne vois personne si ce n'est un énorme trou,  bouche géante qu'est le monde où on m'a jeté comme une raclure. Peut-être que je déforme tout, après tout, que sais-je moi de la vie et des gens? Je passe mon temps à les fuir. Esquiver. Ce monde. Que vois-je? Des ombres, à moins que ce ne soit moi, l'ombre. Les gens ne me donnent pas envie d'aller vers eux, j'étale ma propre insignifiance sur eux, j'en ai conscience, je le sais tellement maintenant. Qu'ai-je à leur dire, ou qu'ont-ils à me dire qui puisse me réveiller de ma longue agonie?
Les toiles me parlent, elles. La peinture me parle. J'y puise ma force pour me réveiller le matin sans me demander c'que j'fous dans ce bordel sans nom. Je râle parfois, je flemmarde comme un gosse perdu mais je sais que la peinture est ce qui fait battre mon coeur, si je n'ai pas ma bouffée d'air mazoutée, je souffre de n'avoir aucun but. Aucune envie. Aucun visage. Aucun nom.  Mes toiles aussi grotesques soient-elles me remettent à chaque fois sur les rails, me rappellent pourquoi je dois tenir sur mes jambes. Parce que les gens? Les gens me donnent envie de dormir justement. D'un long sommeil inconscient et comateux. Il y a comme un petit rien à l'horizon. Je regarde sans voir et tout ce que j'aperçois, c'est des ombres lointaines. Jamais lucidité n'a été aussi aiguisée. Jamais je n'ai été aussi monstrueux sous ma peau de marginal. Disgracieux. Mais à vif. Les paradoxes cohabitent en se livrant bataille...
Ce petit rien au loin se rapproche et s'éloigne perplexe à me donner le vertige, mais dans ce petit rien une présence constante. La seule. La seule que je permets. Que je tolère plutôt, parce que je n’ai pas la force de me battre contre une hystérique. Peut-être parce que c’est le seul point d'ancrage qui me relie à la réalité du monde sibérique. Comment l’expliquer autrement ? La grande partie du temps qu’on passe ensemble se déroule au lit. Le reste du temps ? Je le passe à la repousser comme on repousse un cendrier sentant la clope moisie. Myriam est un mégot humide et froid. Humide par ses larmes qui ne semblent attendre qu'un simple  déclic pour me submerger. Les larmes des femmes sont désarmantes pour certains, moi, elles me donnent juste envie de gifler.
Et parfois, juste quand le résidu d’humain en moi remonte à la surface, j’essaye de la protéger de moi. Ou alors à me protéger d’elle. Non, c’est absurde, de quoi devrais-je me protéger. Myriam est une petite souris qui parle. Non, j’aurais voulu qu’elle soit une souris. Muette. Ou alors une souris qui dit le fond de sa pensée sans les maquiller selon les convenances. Nos mondes auraient pu se rejoindre si elle avait pu arrêter de sourire alors qu’elle n’en avait aucune envie. Quand je la traite avec mépris. Ou quand je la rejette juste pour tester sa capacité à encaisser mes coups. Elle absorbait tout. Elle m’absorbe comme une éponge qui vide de tout jusqu’à ne laisser que des os élimés.  On aurait pu se compléter si elle avait connu la dignité d’une colère justifiée. Non, Myriam ne connait pas ça. J’ai essayé de l’intégrer à mes fantasmes d’artiste raté, mais elle était une pièce trop polie pour entrer dans le puzzle que j’avais dessiné. Je rêve d’un être naturel que la société n’a pas entamé d’une quelconque façon que ce soit, mais il faut croire que je poursuivais une chimère. Myriam était une pièce achevée. Une pièce que j’aurais pu forger, mais je crois qu’il est trop tard.
Les artistes, tout aussi ratés qu’ils soient sont tous des êtres vaniteux, prétentieux. Ils ne s’aiment pas, ils n’aiment que ce qu’ils créent. Dans leurs œuvres, c’est eux-mêmes qu’ils admirent, satisfaits. Toujours exigeants. Je suis moche, du moins, j’me trouve moche sous tout rapport. Mais quand je me regarde dans mes œuvres, je me trouve beau. Divin jusqu’à l’indécence. Myriam ne m’a jamais admiré. Elle n’aime que cet être de chair et de sang que je renie jusqu’au tombeau. Elle aime juste un homme. Elle s’obstine à garder un regard vide devant mes créations, mes bébés, je lui ai maintes fois montré mes entrailles remuées, son regard bête se détournait perplexe pour planter ses yeux dans les miens.  Des yeux de merlan frit qui croit encore en quelque chose que je pourrais lui donner. Je lui donne toute la haine que j’ai envers le monde, elle me le rend propre et aseptisé. C’est abject.

 Bien sur, ne jamais dire tout ce que l’on pense haut et fort. Le penser oui, le dire ?  Jamais. C’est ce qu’on apprend à l’être humain : Refreiner l’animal en lui. Pour ma part, c’est l’animal qui m’a toujours tenu en laisse jusqu’à ce que je cède. L’Homme m’a fait fuir, la bête m’a repêché. La bête m’a appris. Nous  vivons  désormais en harmonie loin du monde. Question de survie. Je devais m’isoler pour ne pas devenir fou. J’avais le choix entre éteindre mon regard pour ressembler à tous ces gens, ces zombies qui me montraient du doigt ou alors craquer et m’écrouler vaincu. Dans les deux cas, c’était l’échec. J’avais choisi la solitude. Il fallait que je m’éloigne de la plèbe pour préserver le peu d’humanité qui me restait. Et surtout, n’allez pas croire que ce choix a été dur pour moi, ce serait faux. Maintenant que j’y repense, choisir la solitude était la solution la plus facile pour moi. Parce que feindre est au dessus de mes forces, parce que tous ceux que je connaissais m’avaient déjà renié, et parce que suivre la bête est plus facile qu’on ne le croit. Ce qui a été le plus dur, par contre, c’était de tout recommencer. Vivre de ma passion dans un monde où il fallait travailler pour les autres pour se sentir utile. Un monde où les idéalistes étaient relégués au rang de fainéants. Fainéant, je devais l’être d’une certaine manière, puisque je travaillais à mon rythme, et il m’arrivait de demeurer oisif des jours et des jours, à ne rien foutre de mes dix doigts, si ce n’est cloper cigarette après cigarette, à regarder des films en noir et blanc me rappelant ma jeunesse heureuse avec mes parents. Cependant, il m’arrivait aussi de m’acharner sur moi-même quand mes arabesques ne ressemblaient en rien à ce que j’avais imaginé dans mes rêves de fou à lier. J’entrais alors dans des colères terribles. Myriam pensait alors pouvoir me calmer avec ses « Si tu n’en veux pas, je le prends pour le mettre dans mon petit salon tout vide ». Ma colère ne faisait alors qu’empirer. L’art n’est pas là pour nous distraire, l’art n’est pas là pour meubler les vides. Comment faire comprendre cela à cette femme ? C’est tout juste si elle ne se servait pas de mes toiles pour allumer le feu dans sa cheminée. Je suis certain qu’elle l’a déjà fait dans ses fantasmes les plus fous, la bougresse.

 Si j’avais pu écrire un livre sur ma vie, Myriam aurait été un non-personnage, quelque chose qui aurait été là sans être là. Un objet avec une âme prenant de la place, mais qu’on oublie vite par habitude ; le regard passe en travers avec facilité, comme cette main  passant sur une surface lisse. Cependant, cette même main qui passe est parfois entravée par une petite bosse disgracieuse qui dépasse sortant de nulle part. C’est ainsi que surgit Myriam dans ma vie en sortant des murs. Des murs qu’elle épouse parfaitement si elle daignait m’écouter. J’avais beau chercher des écorchures en elle, et d’éventuelles vilaines bosses, mais rien. J’aurais voulu qu’elle soit écorchée. Nous aurions été à égalité, tous deux en échec devant le monde, mais en harmonie l’un avec l’autre. Au lieu de cela, elle m’a laissé gagner. Je suis le plus fort, parce que moins amoureux qu’elle. Je ne sais même pas si j’en suis amoureux, tiens. Surement qu’on finit par tomber amoureux de la première ombre qui passe et repasse sans cesse dans notre vie. J’aime Myriam, autrement, je l’aurais éjectée définitivement de ma vie. Je l’aime. A ma manière.

 Je me souviens de notre première rencontre. Cela me fait sourire quand j’y repense, alors que je devrais plutôt ressentir des remords et de la culpabilité…

François, mon meilleur ami devait me présenter la femme qu’il fréquentait depuis un moment déjà. Il m’en parlait avec un tel enthousiasme, que j’ai fini par accepter qu’il la ramène chez-moi, pour me la présenter. Ils ont débarqué un soir, alors que j’étais dans mon atelier. François connaissait ma maison. Il connaissait aussi mes habitudes. Il savait que j’étais dans ma « grotte »  comme il l’appelait, et m’y rejoignit. Il se tenait au milieu de la pièce l’air tout fier.  A coté de lui, une petite femme que j’ai d’abord trouvé étrange avec ses cheveux courts, lui donnant un petit air adolescent. Ce qui m’avait frappé, ce sont ses yeux : Ils lui mangeaient le visage. Et ses petits seins sous son pull rose, échancré. Comme tout homme qui se respecte, je me suis demandé ce que ça me ferait, si je les tenais dans mes paumes. Ou ce que ça lui ferait à elle, peu importe. C’était une sorte de revanche à ce qui allait suivre, car une fois les présentations faites, François se tut souriant de toutes ses dents, l’air interrogatif comme s’il attendait mon verdict. L’idiot. Autant j’étais content qu’il ait fini par se trouver une occupation, un autre centre d’intérêt « humain », autant il m’éclaboussait de sa joie. J’ai trouvé cela indécent. Il se serait pointé dans mon atelier, le sexe entre les mains, que j’aurais trouvé cela normal. Mais qu’il vienne me narguer avec « sa chose » du moment, cela me comprimait la cage thoracique… Son bonheur naissant emplissait la pièce et commençait à m’envahir. Sans savoir pourquoi, j’avais envie de le foutre dehors avec un « reviens me voir quand la désillusion se sera pointé à l’horizon ». Ou un truc du genre. Les grands yeux à coté de lui m’en empêchaient. Ils me regardaient avec amusement, et quelque chose me dit à cet instant-là, qu’elle venait de tout deviner dans ma tête … Cette idée me plut.

  Nous avons passé la soirée à parler de choses et d’autres, et je commençais à m’ennuyer. François n’arrêtait pas de me charrier sur la toile que j’avais commencé à peindre.

 -   Moi j’aurais mis du gris, à la place du rouge écarlate, là. Disait-il en se donnant un air de connaisseur. Mais, qu’est-ce qu’on voit ici ? Des seins ou des fesses? … (il pouffait de rire) Myriam viens voir ! Tu en penses quoi ?

 -   Ah, mais moi, je n’en pense rien, j’y connais rien à la peinture.

 Un bon point pour elle. Elle ne niait pas son ignorance.

 -   En tout cas, ce rouge m’agresse. Jimmy, tu dois faire quelque chose, histoire d’atténuer tout ça…

 Myriam le gronda avec une petite moue boudeuse:

 -   Jimmy est un artiste, il sait ce qu’il fait chéri.

 Et ça jacassait, jacassait à n’en plus finir. Ils n’avaient même pas remarqué mon silence. Je ne les écoutais plus. Ils se suffisaient à eux-mêmes. Ils ressemblaient à tous les couples qui s’isolent dans leur bulle même lorsqu’ils sont avec d’autres personnes. Tout à coup, j’avais trouvé Myriam banale. Ses grands yeux grotesques et ses petits seins ridicules faisaient naitre en moi un gros éclat de rire. Un gros rire que j’ai réprimé avec rage. J’attendais qu’ils m’affranchissent. La bête en moi avait envie de rugir. D’aplatir mon meilleur ami, et de dénuder sa compagne sauvagement, pour les punir. Les remarques de François m’agaçaient. Son ignorance, ses remarques imbéciles, son triomphe amoureux, et les seins de Myriam tournoyaient autour de moi. J’avais la nausée. La nausée de ce qu’ils disaient. La nausée de ce qu’ils s’invitaient chez-moi, pour m’empêcher de savourer ma solitude calculée.

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