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Traumacoma
31 mars 2013

Genitrix

Depuis deux mois déjà, chacun de ses battements de cœur lui pèse sur la poitrine. Chaque gémissement lui rappelle son incarcération. Voilà qu’il bouge ses petites mains à répétitions, en émettant des sons bizarres. Elle le trouve stupide. Elle hoche la tête, significativement. Tout prend forme maintenant: Oui, c’est stupide un nourrisson et ça ne pense qu’à soi, un nourisson. Juste une machine à excréments. Ce morveux va la téter jusqu’à la dernière goutte de vie. Un morveux qui sent ces choses-là …  Il sent toute cette hostilité qui plane. Ce reproche meurtrier. Il pleure de plus belle, maintenant. Elle a envie de faire quelque chose pour le faire taire, mais se retient. A cet instant, elle se sent capable du meilleur, comme du pire. Surtout du pire. Elle a envie de hurler pour couvrir « ses miaulements » de chat affamé.
« Tais-toi, je n’en peux plus… Tu ne le vois pas ? S’il te plait, maman est fatiguée, murmure t-elle d’une voix presque inaudible.
Elle avance à petits pas, le dos, comme vouté  par le poids de ce petit monde qui engloutit le sien.

Personne ne l’a prévenue que sa vie se résumerait à cela : un caca tiède dans un linge souillon. De plus, depuis qu'il est venu au monde, elle a l'impression que le couple qu’elle formait avec son mari n'est plus. Il n'y plus de "nous ». Leur  quotidien se résume à être parents. Ils ne se regardent plus. Elle a aussi l'impression de se perdre dans ce minuscule petit corps qui la bouffe un peu plus chaque jour. Elle  n'a plus de droit de dire "Je veux", il fallait que tout passe après lui. Intolérable. Elle aurait pu enfin exister quand il est en sommeil, mais non. Il se réveille toujours pour lui rappeler ce qu’elle est désormais : Juste une génitrice. Marcel ne le voit pas. Il ne voit pas qu’elle perd la tête. Qu’elle disparait à chaque fois qu’elle tend le sein. Elle ne veut plus être mère. Mais juste une femme. Un individu. Une épouse peut-être. Mais pas mère. C'est au-dessus de ses forces. Elle s’approche du berceau avec un oreiller. Sa délivrance. Ses mains tremblent. De fatigue sans doute. Elle essaye de s'en convaincre. Elle sait ce qu'elle veut, et ce qu'elle ne veut pas. Il fait froid, il fait sombre tout-à-coup. Cet enfant est vraiment malsain, qu'elle se dit. Il n'y a rien qui le rattache à elle. Ce qui remue sous ces couvertures n'a rien d'humain. Il veut lui faire expier ce désir -à un moment donné- d'être mère. Ainsi que ce désir de vivre pour elle, désormais. Il exprime sa hargne en beuglant, maintenant. Abominable avorton. Oui, il n'a rien d'elle. Juste quelques secondes, et c'en sera fini de ce lien artificiel que toutes les femmes vantent. L'instinct maternel est un leurre. Des balivernes inventées de toutes pièces par les magazines-guimauves alimentés par toutes ces religions depuis la nuit des temps. Religions ne pensant qu'à asservir la femme en la renvoyant à ce statut de femelle-pondeuse. Elle en a conscience. Ce morveux, elle en a voulu, mais elle n'en veut plus à présent. Ses mains s'avancent vers l'objet de ses insomnies. Il ne faut pas qu'elle flanche. Elle ira s'allonger ensuite. Dormir sereinement comme ses semblables. Demain, elle prendra des vacances avec Marcel. Ils iront quelque part où le silence sera loi. Tout redeviendra comme avant. Juste tous les deux. Mais il ne sera plus question de renouveler cette expérience désastreuse.
Toutes ces tergiversions de "femelle faiblarde" ont engourdi ses muscles.  Entre ses mains moites, l'oreiller devient lourd comme du plomb. Elle le tient au dessus de la petite tête qui s'agite et...
Au même moment, Marcel entre dans la pièce. Il regarde ce qu’elle tient entre ses mains. Il regarde le bébé et il pleure. Il sait que c'est fini. Qu'il n'y a plus de couple. Plus de famille. Plus de femme. Juste un monstre au regard désespéré.
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